dimanche 6 décembre 2009

Sensations lecture

La suite de la lettre- préface de Véronique DESJARDINS (extraite du livre : "Lettres à une jeune disciple" d'Arnaud DESJARDINS).
Pour moi cette missive peut s'adresser à chacun ou chacune d'entre nous quel que soit son âge, son expérience de vie et sa sensibilté.
Heureuse de partager ce texte avec vous (le temps qu'il m'a fallu pour le saisir sur l'ordinateur m'a été très utile pour intégrer son contenu un peu plus en profondeur, pour m'en imprégner... et puis maintenant je relis le livre complet et m'autorise à souligner au crayon les passages qui me frappent le plus... peut-être pour les futurs commentaires qu'ils pourront m'inspirer, car évidemment je ne vais pas recopier ici l'ensemble du livre...).
Bonne lecture :
...
Au sein de la même situation, nous pouvons soit nous sentir et nous comporter comme des victimes, écrasées par un « sort injuste », soit nous tenir debout en nous réappropriant ce qui nous échoit : si cela m’arrive à moi, ce n’est pas par hasard, à moi d’en faire quelque chose de constructif pour ma propre existence.

J’ai souvent été frappée, dans nos échanges, de voir à quel point, face à des situations qui t’accablaient, tu te sentais démunie et impuissante. Tout semblait figé, définitif, irrémédiable. Et pourtant nous disposons tous d’un certain pouvoir pour remédier d’une façon ou d’une autre, à ce qui nous fait souffrir. « Mend or end – or accept », « Améliorer ou mettez un terme – ou acceptez », disait Swâmi Prajnânpad. Cette formule nous donne trois possibilités – mais pas quatre : en plein cœur d’une situation que vous estimez difficile, améliorez ce que vous pouvez améliorer ; si vous ne pouvez améliorer la situation ou si vous ne souhaitez pas l’améliorer, mettez-y un terme, autrement dit, partez, quittez ce qui est pénible pour vous – dans ton cas, cela reviendrait à quitter cette entreprise dans laquelle tu te sens si mal par moments ; mais si, pour une raison ou pour une autre, vous ne pouvez pas améliorer la situation et que vous ne pouvez pas non plus y mettre un terme, alors acceptez-la, c’est-à-dire intégrez-la.

L’être humain est ainsi bizarrement conçu qu’il préfère souvent s’inventer une quatrième possibilité : ne rien tenter, se plaindre et accuser la terre entière de tous ses maux – sauf lui-même. Cet immobilisme recèle un certain confort : il nous évite de nous remettre en cause et de tenter le moindre effort pour tenter ce qui peut être tenté. Mais à quel prix !

Aussi surprenant ou désagréable que cela soit à entendre, tant que nous ne quittons pas une situation qui nous déplaît, c’est que nous avons décidé d’y rester. Les avantages nous paraissent supérieurs aux désagréments. Notre action – ou notre non-action – indique toujours notre choix, quelles que soient d’ailleurs les raisons de ce choix (manque d’argent, peur de la solitude, peur de perdre une certaine sécurité – ou intuition profonde que cette situation a une valeur et contient une promesse, malgré la souffrance qu’elle nous occasionne). En ce cas soyons fidèles à notre choix. Puisque nous sommes dans cette situation et que nous avons décidé d’y rester, pour l’instant, alors habitons-la de tout notre cœur, vivons-la dans tous ses recoins, tous ses interstices. Au lieu d’être en retrait, de nous cantonner dans un espace étriqué, occupons la place qui est la nôtre aujourd’hui.

La vie est ainsi faite que les situations n’évoluent pas tant que nous n’avons pas tiré les leçons de l’étape actuelle. Mais, dès que nous intégrons ce qui de toute façon, est notre lot, alors l’horizon cesse de nous apparaître comme bouché.

Cela ne nous empêche pas de tenter ce qui peut l’être pour améliorer les choses, ce qui ne veut pas dire que tout nous soit possible. Nous ne sommes pas tout-puissants et, bien souvent, nous avons à nous incliner devant des évènements contraires à nos souhaits. Mais même au cœur des réalités qui nous déplaisent, nous ne sommes pas impuissants. Entre la toute-puissance et l’impuissance, il existe un moyen terme que nous pouvons découvrir au sein même de la situation qui semble nous broyer. Nous avons certaines ressources en nous pour faire face, pour inventer du neuf.

Par le refus, non seulement nous nous crispons mais nous figeons la situation qui nous fait du mal : nous lui donnons un caractère monolithique. Et nous-mêmes devenons monolithiques : nous réagissons toujours de la même façon, sans la moindre innovation. Quand nous nous sentons coincés, pieds et poings liés, voués à l’arbitraire des autres qui ont « tout pouvoir sur nous », il est temps de nous demander si notre propre rigidité n’y est pas pour quelque chose. Car dès que nous acceptons cet ensemble indissociable – la situation et l’impact qu’elle a sur moi –, alors s’ouvre un espace qui nous rend créatifs. Dès que nous changeons notre manière de voir les choses, dès que nous introduisons un peu d’ouverture, de souplesse – d’humour – dans notre perception de la réalité qui nous fait souffrir, la situation elle-même semble aussitôt s’assouplir. De figée, la situation devient en quelque sorte poreuse et malléable. Notre changement d’attitude intérieure induit un changement possible dans la situation extérieure. Dit autrement, nous ne percevons plus la situation de la même façon. Nous ne sommes plus coincés dans une voie sans issue.

Il y a tant d’exemples de personnes qui, dans des conditions extrêmes, ont réussi à transformer leurs épreuves en bénédiction. Je pense au destin d’Etty Hillesum qui nous a laissé un tel témoignage de confiance avant de mourir, à vingt-neuf ans, dans un camp de déportés, mais aussi à des détenus, y compris certains condamnés du couloir de la mort, dont le regard sur leur condition s’est radicalement transformé en prison. Au lieu d’accuser un sort injuste, de récriminer contre leurs bourreaux, ils ont choisi d’en faire un tremplin pour leur évolution. La plupart d’entre nous ne sommes pas confrontés à ces situations dramatiques. Mais ces exemples peuvent être source d’inspiration dans les moments difficiles pour nous rappeler que nous avons le pouvoir, nous aussi, de modifier notre approche.

Parfois, il est vrai, ce que nous traversons semble dépasser nos forces actuelles. C’est faire preuve de réalisme que de solliciter alors l’aide dont nous avons besoin. Or, je t’ai souvent vue dans l’incapacité de le faire quand tu vivais des moments de grand désarroi. Bien sûr, quand nous souffrons trop, nous avons pour la plupart tendance à nous replier sur nous-mêmes et à attendre que quelqu’un vienne à notre secours. Et nous en voulons ensuite à la terre entière parce que personne ne semble bouger. Cela vient renforcer nos « fausses lois » : je peux bien crever, tout le monde s’en fout, ce ne sont que des égoïstes. Cette passivité est en fait une mendicité d’amour qui n’a aucune chance d’aboutir. Car, même si certains nous manifestent une attention ou une compassion, nous sommes trop barricadés en nous-mêmes pour accueillir celle-ci.

J’ai mis longtemps à comprendre que la recherche d’un soutien ne peut être passive. Nous avons à le demander ou, plus exactement, à nous mettre en état de réceptivité. Et d’abord à nous avouer à nous même que nous avons besoin d’être aidés, au lieu de nous enfermer dans une solitude orgueilleuse. Nos cris de colère ne sont qu’une manière de ne pas être en contact avec notre demande réelle.

Beaucoup d’entre nous ont connu dans leur enfance de grandes détresses parce que personne ne nous a secourus à un moment où nous avons eu vitalement besoin de l’être. A partir de là, la vie s’est comme bloquée en nous et nous avons développé cette fameuse « stratégie de survie » pour pouvoir subsister en dépit de notre solitude et de notre désespoir. Et nous avons conclu de ces expériences de déréliction que nous aurions toujours à nous débrouiller seuls par la suite aux moments cruciaux de notre existence.

Tôt ou tard, si nous ne voulons pas vivre à tout jamais sur un mode réactionnel, si nous voulons cesser d’être à tout jamais exilés de nous-mêmes, amputés de la force de vie sous-jacente, antérieure aux traumatismes, nous aurons à déconstruire notre stratégie de survie. Ce n’est pas une petite affaire mais c’est à ce prix seulement que nous pouvons retrouver notre plein potentiel et ne plus vivoter au rabais.

Cela suppose que nous ayons le courage de quitter notre solitude revendicatrice, de rendre les armes et d’accepter que nous avons besoin des autres. Si nous restons fermés, braqués, si la négativité émane de nous, nous offrons à la vie une carapace qui repousse les dons de l’existence. Très concrètement, nous décourageons l’aide que les autres pourraient nous apporter. Les bénédictions qui nous entourent rebondissent sur cette armure sans pouvoir pénétrer dans notre monde autarcique.

Il faut donc prendre le risque de nous montrer ouverts et vulnérables, même si cela nous fait terriblement peur, pour qu’une « circulation d’humanité » puisse s’accomplir entre les autres et nous. Nous sommes tous fait de la même pâte, nous avons tous besoin de chaleur humaine et de partage mais, si nous voulons les recevoir, c’est à nous de nous rendre disponibles pour que l’autre puisse se risquer à nous témoigner son affection. En découvrant le chagrin qui est à la source de nos cris de colère, en reconnaissant humblement que nous avons besoin d’être aimés et en acceptant l’aide telle qu’elle vient à nous (pas forcément d’ailleurs comme nous l’imaginons), nous levons peu à peu cette malédiction intérieure qui s’est mise en place il y a longtemps.

Tu es pleine de dons et de talents qui sont en dormance. Tu restes persuadée que c’est la situation extérieure qui te maintient dans cet état. En cela tu te trompes. Ce qui t’empêche d’être toi-même n’est pas extérieur mais intérieur. Tant que nous ne l’avons pas compris, nous gaspillons notre énergie en colère, révolte et imprécations, au lieu de l’utiliser de manière constructive. Nous oublions d’exploiter nos talents. Or, si nous restons en sous régime, en deçà de nos capacités réelles, non seulement nous nous cantonnons dans une vie étriquée mais notre énergie inemployée nous mine et nous empoisonne.

Quels que soient l’amour et la patience que nous témoigne celui ou celle qui nous accompagne dans nos moments difficiles, vient un moment où quelque chose nous incombe. Pendant longtemps, nous attendons le miracle de l’extérieur. Mais le miracle, c’est nous qui l’invitons le jour où, seuls avec nous-mêmes, nous faisons ce geste intérieur de lâcher prise qui change tout. Même si cela m’est insupportable à entendre, c’est la vérité : cette situation me correspond. A moi de l’intégrer, d’une façon ou d’une autre. Là aussi, chacun est seul pour inventer sa pratique, c’est-à-dire la manière dont il va entrer en amitié avec la réalité qui est la sienne.

Arnaud, en te consacrant ce livre, te redit sa foi en la possibilité de ta propre transformation et t’ouvre toute grande la porte à l’accompagnement nécessaire à ce processus. Sophie, je souhaite de tout cœur que tu puisses en retirer toutes les bénédictions.

Véronique.

jeudi 3 décembre 2009

Sensations lecture

Envie de partager un véritable coup de foudre pour le livre d'Arnaud DESJARDINS : "LETTRES A UNE JEUNE DISCIPLE "et pour la première partie de la lettre préface écrite par Véronique DESJARDINS :

Sophie,

Cette lettre que je t’adresse aujourd’hui pourrait aussi bien s’intituler « lettre à moi-même », tant il est vrai que, dans les multiples vicissitudes de notre parcours, nous avons encore et toujours à nous confronter aux mêmes vérités. C’est le message d’une sœur, d’une amie qui a traversé des difficultés semblables à celles que tu rencontres aujourd’hui. Souvent, lors de nos échanges, je t’ai entendue pousser des « cris du cœur », mélanges de fureur et de haine suite à certains comportements qui te semblaient inadmissibles et révoltants. Ces cris étaient si déchirants que je n’ai souvent rien dit, consciente que cette plaie qui saignait réclamait avant tout une oreille silencieuse qui ne juge pas.

Le temps n’était pas mûr pour que je puisse partager avec toi ce que ta souffrance m’évoquait.

Cela ne veut pas dire que tu as tort de ressentir les choses comme tu les ressens. Rien ni personne ne peut faire que notre ressenti soit autre que ce qu’il n’est. Mais il nous incombe de ne pas en rester là. Oui, c’est ce que je ressens, c’est indéniable, mais sans oublier qu’il s’agit de ma réalité intérieure – et en aucun cas de la réalité. C’est la confusion entre les deux qui crée tout le problème.

Nos cris du cœur ne doivent en aucun cas être niés. Nous devons leur donner la parole, que ce soit face à un autre qui nous écoute ou dans le secret de nous-mêmes. Mais nous devons les voir pour ce qu’ils sont : des cris du cœur. Ils nous décrivent certes notre monde intérieur, nos blessures, mais ils ne nous décrivent en rien la réalité objective. Le drame commence quand nous nous mettons à croire ce qu’ils nous racontent, que nous pensons qu’ils voient clair et que nous les justifions, au lieu de les considérer comme des blessures qui se sont réouvertes, qu’il va falloir panser et guérir avec amour.

Si nous ne faisons pas cette distinction très nette entre nos émotions et la réalité, si nous n’avons pas un minimum de distance vis-à-vis de nos pensées (en attendant d’en avoir un maximum), alors nous sommes pris dans les rets de nos projections – en pleine illusion, en plein mirage. Si nous y croyons sans aucun recul, nos projections se solidifient et plus rien n’est possible.

Une des paroles les plus importantes qu’il m’ait été donné de lire, quand j’étais adolescente, c’est celle-ci : « Votre être attire votre vie ». J’étais très malheureuse et pourtant cette parole, loin de m’accabler, a été l’incitation à me mettre en marche : si tout allait mal dans ma vie, ce n’était pas le fruit d’une malédiction dont j’étais l’objet, cela tenait à moi. Il n’y avait donc qu’une issue mais cette issue existait : changer.

C’est ainsi que tout à commencé en ce qui me concerne mais c’est ainsi que tout commence – et se poursuit – pour chacun : quand nous cessons d’incriminer le monde et les autres de tous nos malheurs et que nous faisons ce retour sur nous-mêmes : j’y suis pour quelque chose. Non pas que je sois coupable de quoi que ce soit. Ce que je suis, je le suis pour tout un ensemble de raisons, un enchaînement implacable de causes et d’effets qui se sont succédés, jusqu’à produire inévitablement ce que je suis aujourd’hui. Mais si je veux que les choses changent, c’est à moi de faire le premier pas… et les suivants.

Tant que face à une situation qui nous fait mal, voire nous bouleverse, nous nions que cela tient à nous (quoi que nous mettions dans ce « nous » : notre manière de fonctionner, de voir la réalité de travers), tant que nous ne voyons pas qu’un autre, dans la même situation, ne vivrait pas les choses comme nous, tant que c’est toujours « la faute des autres qui se comportent comme des monstres », le chemin, d’une certaine façon, n’a pas vraiment commencé.

Une autre parole de Gurdjieff m’a très tôt interpellée et continue d’être, aujourd’hui encore, un outil précieux : « Vous êtes dans la meilleure situation possible pour progresser ». Qui d’entre nous n’est pas, la plupart du temps, convaincu du contraire, notamment quand la pression des évènements semble resserrer son étau autour de nous, qu’il s’agisse de la perte d’un être cher, d’un compagnon « insupportable » ou d’un patron que nous sentons hostile envers nous. C’est une phrase extrêmement dérangeante car nous sommes bâtis de telle sorte que nous pensons toujours qu’ailleurs ou autrement, ce serait mieux. « Ah, si seulement !... » et tout serait résolu, croyons-nous. Mais, si nous sommes honnêtes envers nous-mêmes, nous savons bien qu’ailleurs n’est pas meilleur pour la simple raison que nous nous emmenons, nous et nos problématiques non résolues, partout où nous allons, où que nous fuyions.

Certes, un environnement différent peut nous donner la sensation de respirer plus vaste, un sentiment d’expansion, qu’il s’agisse d’un changement dans nos relations ou d’un voyage dans un pays lointain dont nous avons longuement rêvé. Ces expériences ne sont pas à négliger, bien au contraire. Elles nous donnent un aperçu d’un état d’être qui pourrait devenir le nôtre, un état libre des circonstances, quelles qu’elles soient. Qu’il est long le chemin pour s’ouvrir à cette idée qu’il n’y a pas de meilleure situation pour notre croissance personnelle que celle dans laquelle nous nous débattons. La preuve, c’est qu’elle nous dérange, nous perturbe, nous irrite, nous déroute – donc nous montre à l’évidence que nous ne sommes pas libres dans ce domaine et que c’est précisément là que doit porter notre effort. Se confronter à cette parole fait taire le mental … pour un temps.

RDV au plus vite pour la deuxième partie de cette missive... si trop d'impatience : achetez le livre sans attendre...